Mohamed Bellelah
«J’étais un appelé. J’avais vingt ans en 1960. On était un peu comme des « malgré nous » (1)
« Quand j’ai fais mes classes, on nous a juste parlé d’aller maintenir l’ordre là-bas; à ce moment-là, c’était « l’Algérie française », pas plus que ça… sur place, la réalité, c’était pas la même chose. »
« Ça ne sert à rien tout ça, c’est fini … il faut voir devant et je vois que c’est mal barré, je ne suis pas optimiste » (2)
« Il y avait « un quarteron de généraux » … c’est De Gaulle qui parlait comme ça- ces quatre généraux-là voulaient prendre le pouvoir en Algérie, organiser un putsch … certains gradés, des salauds, oui vraiment… Des années plus tard, bien après l’indépendance de l’Algérie, j’ai su que l’un d’entre eux était venu habiter à Épinal.» (3)
« Je ne comprends pas pourquoi le capitaine Alban-Thomas est resté (dans l’armée française), puisqu’il était déjà au Viet Nam et qu’il savait bien ce qui s’y passait… et ça a été pareil pour l’Algérie. Je voulais lui écrire quand je l’ai vu à la télévision: il était mon capitaine. Il parle de la torture dans son livre (4), il dit bien qu’il n’était pas d’accord, pourtant il a fait carrière dans l’armée. Pourquoi?”
« Fallait pas la faire, c’est tout, c’était une connerie de vouloir garder l’Algérie française… mais c’est très complexe. Il faut savoir faire la part des choses » (5)
« J’étais d’abord un homme de troupe tout simplement, puis chauffeur de citerne. J’étais à Mascara : c’est dans les terres, dans l’arrière pays d’Oran au Nord-Ouest de l’Algérie. J’allais distribuer l’eau dans les mechtas. C’étaient des baraques en terre réparties en hameau, les gens vivaient dans une grande pauvreté. J’étais beaucoup au contact de la population, et puis j’ai pris du galon… Je suis revenu à Sarrebourg pour valider mon grade de sous-off, pourtant je l’avais déjà obtenu en faisant mes classes. Au bout d’un an, pas de quille ! Il a fallut rempiler, service obligatoire prolongé. Je suis resté en Algérie de 1960 à 1962, jusqu’à l’indépendance. J’étais devenu vaguemestre, entre les villes de Mascara et de Dublineau : j’apportais le courrier, parfois des mandats de la métropole… ensuite, j’ai été chef de garage, mécanicien à Dublineau »
« Mohamed Bellellah ! C’était son nom… il était mon chauffeur de jeep. Sa permission pour le week-end suivant approchait. C’était très difficile pour lui de faire un choix, il risquait sa peau des deux côtés. Il est venu me demander plusieurs fois conseil, il ne savait pas s’il devait partir rejoindre le FLN, ou bien rester avec nous dans l’armée française. Il hésitait, revenir ou déserter, et il est venu m’en parler.
– « Vas-y, tu verras bien sur place. Barres-toi si tu peux, ne reviens pas!»
« C’est ce que je lui ai dis… et là, cinquante ans après, je me demande encore ce qu’il est devenu. Impossible de le savoir… Les rebelles ont pu lui trancher la gorge, ou bien non… J’espère qu’il s’en est tiré, voilà»
Avec ses camarades de troupe sous le commandement du capitaine Pierre Alban Thomas, qui rédige alors sa motion de confiance adressée au général de Gaulle, Jean-Marie Gaudé a signé contre l’OAS, fait important dans l’histoire de la guerre d’Algérie puisqu’il marque un point de rupture avec la fange dure du colonialisme français.
D’une vieille valise Papa extirpe une coupure de journal jauni avec une photo de lui à côté de son camion citerne, près de son campement dans une campagne du Maghreb. Une autre, où il distribue de l’eau dans les metchas.
1.Les malgré-nous ce sont les soldats alsaciens et mosellans enrôlés de force dans l’armée allemande en 14-18
2.En soins palliatifs à domicile lors de ce récit qui brise un long mur de silence, le patient décédera deux mois avant les attentats de Charlie Hebdo
3.Epinal se situe à 25 kilomètres de son domicile. Le nom du général n’est pas donné dans le récit.
4.Pierre Alban Thomas : « Les Désarrois d’un officier en Algérie »
5.Cf. documentaire d’Yves Courrière et de Philippe Monnier : la guerre d’Algérie