L’art thérapie c’est quoi ?
L’art thérapie est une méthode visant à utiliser le potentiel d’expression artistique et la créativité d’une personne à des fins psychothérapeutiques ou de développement personnel.
Elle apparaît souvent comme une chance nouvelle d’accéder à ses sentiments et à ses émotions refoulés « parce qu’elle travaille dans le “mine de rien”, en utilisant une stratégie de détour, une ruse qui permet de contourner les résistances au changement », explique le Dr Jean-Pierre Klein (L’Art-thérapie, Puf, collection Que sais-je, 1997)
La pratique artistique est donc utilisée comme un outil, un intermédiaire et un réceptacle. Coordonnée par l’art thérapeute, elle permet de faire émerger les problématiques inconscientes, elle aide la personne à réguler ses émotions par leur expression, et l’accompagne vers une transformation positive d’elle-même.
Quelle que soit la discipline artistique opérante, le processus reste fondé sur la créativité. Le ou la patient·e, ou client·e, exprimera différemment ses douleurs, émotions, contradictions, conflits internes, violences rentrées… selon le matériau utilisé qui jalonne ce cheminement personnel.
Histoire de l’art-thérapie
L’application de l’art à des fins thérapeutiques n’est pas un concept nouveau. La Grèce antique, tout comme les cultures traditionnelles chez les peuples Premiers du monde entier, considérait que les arts avaient un effet cathartique et thérapeutique.
Au début du XXe siècle, le psychiatre suisse Carl G. Jung (1875-1961) expérimenta lui-même les bienfaits de l’expression par le dessin. Il a ensuite intégré cette approche dans sa pratique.
En France, on mentionne parfois le nom du marquis de Sade comme précurseur de la méthode en raison des spectacles qu’il dirigeait vers 1800 à l’asile de Charenton, et qui attiraient le Tout-Paris avide de voir des aliénés en représentation. Un siècle plus tard en 1907, Paul Meunier (1873-1957), médecin des asiles d’aliénés depuis 1899 et médecin-chef de celui de Villejuif, avait publié sous le nom de Maurice Réjà, un volume intitulé L’Art chez les fous, le dessin, la prose, la poésie, qui a été réédité en 1994 comme l’a été l’ouvrage de Jean Vinchon, L’Art et la folie.
Cela dit, c’est à Adrian Hill que l’on attribue l’origine de l’art-thérapie. Ce peintre anglais, atteint de tuberculose et placé en sanatorium, entreprit durant sa convalescence d’entamer une flânerie sur papier qui, au grand étonnement des médecins, lui octroya un rétablissement spectaculaire. Intéressée par cette approche, la Croix-Rouge britannique l’utilisa avec ses patients. En 1950, les premiers programmes de formation en art-thérapie virent le jour aux États-Unis.
Cependant, à Paris, c’est l’hôpital Sainte-Anne qui a fait figure de précurseur en organisant, dès 1946, des expositions d’œuvres artistiques de patients, qui déboucheront sur la mise en place d’ateliers d’art thérapie pour les personnes hospitalisées. Il faut attendre encore quatre décennies pour qu’en 1986, en dépit d’une pratique bien antérieure, le concept soit enfin reconnu par la communauté scientifique au cours d’un congrès international.
L’art Thérapie s’est donc d’abord introduite en Angleterre, puis aux États-Unis grâce à Margaret Naumburg, enseignante et psychothérapeute reconnue comme l’une des pionnières dans le domaine. Au Canada, parmi les thérapeutes ayant contribué à l’intégration de l’art dans le cadre de traitements psychiatriques, mentionnons Martin A. Fisher qui a fondé, en 1967, le Toronto Art Therapy Institute et, en 1977, la Canadian Art Therapy Association.
En dépit des programmes de formation offerts depuis les années 1970, l’art-thérapie n’est pas encore très répandue dans l’hexagone à la fin du vingtième siècle, qui reconnaît officiellement la profession en 2011. L’Angleterre est le premier pays européen où la profession a été reconnue par les services de santé publique, en 1997. En Allemagne, les assurances couvrent, dans certains cas, les frais de prise en charge, tandis que dans la plupart des autres pays européens, le travail de reconnaissance professionnelle reste à faire.
Admise comme un outil thérapeutique efficace, l’art thérapie connait actuellement un véritable assor et de nombreuses structures et institutions, y compris des hôpitaux, proposent des ateliers dans des disciplines artistiques variées. Désormais, c’est à la demande des médecins et du personnel paramédical que l’art-thérapie a fait son entrée à l’hôpital, dans les maisons de retraite ou dans le cadre de la médecine libérale.
Dans l’atelier: le dispositif créatif
Deux processus sont mis en route simultanément dans un atelier d’art thérapie : celui bien sûr de la créativité, et aussi celui de transformation, l’idée étant que la pratique artistique va transformer positivement la personne.
En d’autres termes, l’art c’est le moyen d’agir, le soin c’est le but de l’action. Les deux items sont intimement liés dans cette approche, la thérapie ajoutant à l’art le projet de transformation de l’individu.
Le cadre doit être précisément défini avant toute prise en charge (lieu, fréquence et durée de l’atelier -ou dispositif créatif, objectif(s) à atteindre, discipline artistique); il doit être suffisamment contenant pour rassurer le/la patient·e. Au sein de l’hôpital ou dans d’autres structures, c’est en concertation avec l’équipe soignante ou les référents sociaux qui va s’établir la prescription et se poser le cadre.
La relation thérapeutique, même si elle passe très peu par la parole, s’inscrit dans une dimension identique à celle établie dans les autres formes de psychothérapie. La confidentialité est évidemment primordiale. Avec bienveillance, l’art thérapeute créé une relation de confiance avec la personne, relation qui respecte les rythmes individuels, qui prend en compte les déficits et s’appuie sur les potentialités afin de valoriser la singularité de chacun·e.
Praxis: Les capacités intellectuelles, motrices, d’adaptation, la prise d’initiative sont sollicitées dans le but de permettre au patient d’ acquérir une bonne estime de soi et une meilleure autonomie. Souvent, l’art thérapeute a recours à plusieurs disciplines artistiques. Si les consignes de départ qui nourrissent le dispositif créatif ne sont finalement pas respectées ce n’est pas problématique car l’aspect ludique et créatif doit l’emporter. La difficulté, le ratage, l’expression de l’agressivité font partie de la thérapie qui n’est pas une prestation de bien-être mais un passage vers le mieux-être.
D’autre part, il ne s’agit nullement de mettre en mots le vécu propre au processus créatif, et le résultat visé ne se trouve pas dans l’objet produit (même si celui-ci peut donner des satisfactions). L’art-thérapeute est là pour accompagner la personne, dans un environnement sécurisant, sans chercher à interpréter ce qu’elle créé.
Cette méthode de soin stimule l’imagination en proposant des activités diverses amenant progressivement des gratifications sensorielles et intellectuelles.
Choix du médium artistique
Le choix de la discipline n’est pas neutre. Il s’établit avec l’art thérapeute, non pas en rapport avec d’éventuelles compétences du/de la patient·e, mais plutôt en recherchant celle qui lui permettra au mieux d’explorer son inconscient et ses émotions.
Les disciplines artistiques les plus couramment proposées sont les arts plastiques (peinture, sculpture, dessin, collage…), la musique, la danse, le théâtre, la photographie et l’écriture.
Certaines disciplines comme les arts plastiques, la photographie, permettent au patient une distanciation objective via un matériau, et dans tous les cas c’est l’utilisation de la métaphore qui permet le « pas de côté » nécessaire pour dépasser les difficultés.
D’autres disciplines comme le théâtre, la danse, et le conte mettent en jeu le corps, elles permettent ainsi de rejouer des conflits, de faire figurer aussi symboliquement les contradictions intérieures du/ de la patient·e. Et de l’aider, via l’expression corporelle, à accéder à une prise de conscience, parfois émotionnellement très forte. Le théâtre par exemple peut être vécu par certains comme un exutoire qui conduit aussi, après l’intensité du moment, à une certaine dédramatisation. Le conte, lu, imaginé, parfois joué, peut aider à exorciser angoisses, deuils et peurs.
La musique et le chant jouent aussi sur le corps, la respiration, les vibrations, le rythme. Avec son pouvoir émotionnel fort, la musique permet souvent, via les sensations et émotions exprimées, une réappropriation progressive du corps.
L’écriture fait à priori davantage référence au mode de pensée rationnel. Or, elle peut donner accès au monde intuitif des profondeurs, en ouvrant grand les portes de la créativité: écriture automatique, en calligramme à la Guillaume Apollinaire; dialogues, autre point de vue, lettres- fiction, récits de vie, pierres de gué, personnages, affirmations positives… Il existe des déclencheurs de l’écrit et les dessins, les collages, la peinture ou la musique s’associent aisément à l’écriture créative.
Moins fréquemment utilisées, les marionnettes, les masques, le maquillage, le spectacle de clowns, permettent quant à eux de donner une « voix » aux figures de l’inconscient. Par l’intermédiaire de ce qui s’apparente à un jeu de rôle, la parole est donnée à des idées et inhibitions parfois très refoulées, voire à l’expression de fantasmes.
Le-la patient·e peut aussi tester et pratiquer plusieurs disciplines au cours de la thérapie.
Déroulement de la thérapie
La toute première séance va permettre de définir le cadre, via notamment un entretien individuel entre l’art thérapeute et le/la patient·e. Elle /il va généralement évoquer son mal-être et ses attentes particulières par rapport à la thérapie. Le choix d’une discipline peut s’effectuer aussi lors de ce premier entretien.
Le déroulement des séances suivantes varie ensuite en fonction du médium artistique retenu, même si l’objectif thérapeutique est identique, à savoir développer un langage symbolique donnant accès à des émotions enfouies pour parvenir ensuite à se les réapproprier.
Au cours des séances, l’art thérapeute va aider la personne à “lâcher prise”, par exemple en laissant sa main agir sans mobiliser son cerveau.
Si le/la patient·e a du mal à laisser aller son imagination, il arrive que l’art thérapeute, pour contourner ses résistances, lui propose un thème de travail. Le but étant de donner simplement une impulsion de création au patient.
Une fois le processus créatif enclenché, le rôle de l’art thérapeute est d’accompagner, sans prendre trop de place, et surtout sans juger, ce qui se joue à ce moment-là; il/elle peut l’encourager à développer un mouvement, une forme qui semble se répéter d’une production à l’autre et qui serait donc porteur de sens.
Il est essentiel que l’accompagnement reste discret.
Il peut s’agir, dans un premier temps, d’accueillir tout simplement la production, parfois de l’orienter dans le sens d’une plus grande clarté.
Loin de se contenter de peu, c’est plutôt de pousser, avec prudence et douceur, le/la patient·e vers toujours plus de profondeur. C’est lorsque le patient lâche enfin prise et quitte la superficialité que la thérapie avance.
En cours de séance, certain·es patient·es peuvent prendre conscience subitement de ce que leur production signifie. L’art thérapeute a alors une fonction d’écoute importante, pour soutenir la prise de conscience. Cependant, certaines personnes poursuivent leur thérapie sans qu’aucune évidence ne leur saute aux yeux, ce n’est pas pour autant que leur thérapie n’avance pas.
Les fins de séance donnent toujours lieu à un échange verbal entre le thérapeute et le patient. Celui-ci est invité à parler de ce qu’il a ressenti pendant le processus créatif. L’art thérapeute peut soutenir la réflexion en posant des questions sans que celles-ci soient trop directives, de manière à ne surtout pas orienter les réponses du patient.
Chaque patient·e doit pouvoir, à son rythme, faire son cheminement thérapeutique, sans être brusqué·e par des interprétations qui n’ont pas lieu d’être, ni des révélations qu’il/elle ne serait pas prêt·e à entendre. Basiquement, l’art thérapeute est là pour accompagner la personne, en témoin discret et bienveillant.
Pour qui ? Pour moi?
“Les interventions d’artistes, de médiateurs artistiques et d’art-thérapeutes s’étendent désormais au champ social et permettent notamment de traiter le problème de la violence contemporaine”. Jean-Pierre Klein, psychiatre et directeur de l’INECAT de Paris.
La pratique préalable d’un art n’est pas nécessaire, nous avons vu que l’objectif des ateliers d’art thérapie ne réside pas dans une ambition artistique. Les ateliers d’art thérapie sont donc ouverts à toutes et à tous sans nécessiter de prédisposition particulière.
En matière de développement personnel, cette pratique est intéressante à proposer aux personnes qui ont du mal à s’exprimer verbalement ou qui ont besoin d’un espace libre d’expression pour pouvoir communiquer et exprimer leur singularité.
Elle s’exerce en services hospitaliers, maisons de retraite, milieu carcéral, quartiers sensibles, écoles, services d’addictologie, groupes d’entraide mutuelle, aides à la fin de vie, également en libéral dans un cabinet, voire à domicile chez des particuliers. Elle peut se pratiquer en groupe ou individuellement.
Dans certains cas elle n’est pas pertinente, notamment lors de dépression profonde ou de phase de grande excitation, à fortiori de délire. A noter qu’un·e artiste aura l’impression de mettre en péril son art s’il ou elle devait l’utiliser autrement dans un dispositif créatif- d’où la nécéssité de lui offrir un médium qu’il ne pratique pas.
Bienfaits mesurés de l’art-thérapie
Bien que peu d’études scientifiques aient été publiées sur l’art-thérapie, voici les principales références relatives à son efficacité.
Améliorer la qualité de vie des personnes âgées
Une étude aléatoire avec groupe témoin a été menée auprès de 40 personnes âgées de 70 ans à 97 ans. Les résultats révèlent qu’une intervention d’art-thérapie basée sur l’observation d’œuvres d’art améliore le bien-être émotionnel et divers paramètres physiologiques (pression artérielle, fatigue, douleur, etc.). Dans une autre étude, des personnes de 60 ans à 86 ans ont participé, pendant 1 mois, à une des 3 démarches suivantes : séances de théâtre, discussions à partir d’œuvres en arts visuels, ou aucune intervention. Les personnes âgées ayant suivi les sessions de théâtre ont amélioré de façon significative leurs fonctions cognitives et leur bien-être psychologique comparativement aux 2 autres groupes, et ces améliorations étaient maintenues après 4 mois.
Aider les patients atteints de cancer
En 2010, 2 revues ont conclu qu’une approche d’art-thérapie pouvait être bénéfique chez les gens souffrant de cancer, à plusieurs niveaux de l’évolution de la maladie. Parmi les articles recensés, quelques résultats ont montré une diminution des niveaux d’anxiété et de dépression des patients, une amélioration de leur qualité de vie, ainsi que des effets positifs sur leur croissance personnelle, leur capacité à affronter la maladie et sur leur interaction sociale. Des effets positifs de l’art thérapie (baisse de l’anxiété et du stress) ont également été constatés auprès d’aidants familiaux.
Réduire le stress et l’anxiété
D’après les résultats d’une étude aléatoire menée auprès de 36 étudiantes en sciences infirmières, une séance d’art-thérapie incluant dessins, peinture, écriture et collage pourrait être bénéfique afin de réduire le stress et l’anxiété et favoriser des émotions positives.
Aider les personnes souffrant de trouble de stress post-traumatique
L’auteur d’un article scientifique regroupant des études de cas et quelques études cliniques a étudié la contribution de l’art-thérapie au traitement du stress post-traumatique. Selon le chercheur, l’art-thérapie pourrait aider les personnes, qu’elles soient victimes ou témoins, à mieux gérer l’ensemble de leurs symptômes de stress post-traumatique d’ordre physique, cognitif, émotif et comportemental.
Aider les enfants atteints d’asthme
En 2010, une étude clinique a été réalisée auprès de 22 enfants souffrant d’asthme. Elle a permis d’observer que les enfants recevant une séance hebdomadaire d’art-thérapie pendant 7 semaines montraient une diminution des niveaux d’anxiété et une amélioration de leur qualité de vie. Il est à noter que cette étude ne visait pas à réduire la gravité ni la fréquence des crises d’asthme
Références
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Devenir art thérapeute
Cette approche nouvelle est maintenant reconnue officiellement par l’État depuis 2011 en France avec des titres professionnels de médiateur artistique et d’art-thérapeute. Il existe aussi un diplôme universitaire d’art thérapie, accessible aux titulaires du titre d’art thérapeute, qui peut être effectué aux facultés de médecine deTours, à Grenoble et à Lille. Dans ces villes, l’AFRATAPEM propose une formation accessible sur dossier. D’autres écoles comme l’INECAT proposent des formations en art thérapie; à Paris, Arles, Lyon, Toulon, l’institut de formation PROFAC délivre lui aussi la certification officielle d’art-thérapeute, laquelle permet de travailler dans les pays de la CCE au niveau VI de qualification professionnelle. Un travail sur soi ainsi qu’une pratique artistique sont requis pour le métier d’art thérapeute.
Il existe en France quelques organismes qui regroupent des professionnels :