Saison cyclones
Des pan-pans aux grands vents portés avec piété
martèlent, joyeux rituel, un autre coup du sort-
l’on recloue dans les hauts un peu partout les tôles
des cases créoles, pour que leurs toits ne soient
arrachés comme des feuilles de papier-
Les sacs plastiques du marché s’envolent
tout couleurs et légers, dans l’opaque menace
venue du ciel qui fonce, impossible à scruter,
prédisant le pire, soufflant son air mauvais.
Provisions de bougies près de St Expédit,
parmi les amulettes et la Vierge Marie,
conserves, rhum letchis, papier toilette et du riz
pour tenir l’alerte rouge qui paralyse tout le pays.
Houle ! Les lames océanes cherchent des sommets
sans égal, giflées par vents et marées, cadence infernale.
Dix janvier, tout est normal, c’est l’été tropical.
La tempête passe cyclone c’est imminent, radio Free-Dom
l’annonce officiellement. Le cyclone parfois fait des drames,
son nom de femme habite les raisons taquées par l’alarme.
La case est parée : barreaux amarrés, nacots bien scellés.
Restera-t il dans l’histoire, à voir où son œil se dirigera-
Cyclone Eugénie tatoué dans la mémoire des Réunionnais.
Les cœurs les plus guerriers fondent à la peur de saison.
Un Cafre rie sous cape
devant un spectacle ahurissant.
Puis se précipite, vient chercher
ce Zoreil échoué dans la cour :
saisi, en lutte avec son sujet,
bras soulevés, corps désarticulé,
tentant l’exploit de photographier
la beauté de l’évènement,
il risque sa vie bêtement.
Une pan de lambrequin traverse les airs,
une voiture dérive à l’envers
une parabole s’envole ;
La route fermée s’arc-boute
elle s’ouvre comme une outre,
bitume béant comme la bouche
d’un monstre fumant, elle engouffre
la coulée de boue qui déboule
de plus en plus rapidement,
des montagnes à l’océan.
La pluie fait son bruit de caillasse
sans s’arrêter sourde comme une masse
et berceuse pourtant elle endort à l’unisson.
Variation d’ à-coups secs, cet air de geôle
sous le toit de la case en bois sous tôle :
Des grêlons gros comme des citrons
s’éclatent brillants becs de papangue !
Gris alentours, un radeau tangue sous la varangue.
La nuit ni le jour n’arrêtent l’eau qui tombe sans cesse.
Diluvien rappel à universel, elle gonfle les rivières, le chenal,
ravine en trombes les cimetières, déracine les arbres, bacchanale,
creuse les pierres, navires de misère, brinquebalants corsaires,
embarque Barbie, boîte bœuf, chaussette, lianes, songes et laisses
bat tous les flancs à sa face, fait plier les cocotiers en front de mer
Trois jours après, d’un coup tout s’arrête, un ciel vif argent
S’ouvre grand sur la terre luisante trempée collante et lourde
Dehors il cuit une chaleur moite sans air une épaisseur fourbe
Ça sent le fruit pourri la charogne les détritus ça pue l’après-cyclone
La mer brune encore secouée charrie partie de l’île et ses déchets ;
Entre voisins la tradition revient, une main lave l’autre comme lontan
Des pan-pans rafistolent les habitations jusqu’au prochain cyclone.