4. Zoom sur la Lune !
Piano, guitare, didgeridoo, poésie, théâtre, peinture, art numérique… La pleine lune vibre de très loin sur les Sélénites encartés dans l’exercice de la virtualité. La sensation chaleureuse d’être ensemble perdurera toute la soirée, comme des braises au feu de Dieu sous la cendre. Grand angle sur la table où six convives, embarrassés d’un discours sur la peur qui n’exorcisait pas pour autant cette persona non grata, en rajoutèrent aux difficultés d’intendance de Cunégonde. Pour corser le tout, sa chroniqueuse Hildegarde était en proie à une nouvelle attaque d’indescriptibles monstres qui saignaient sa page à blanc.
Zoom arrière. Youva Gaudé d’un solo magistral de didgeridoo ventila l’ouverture de la quatrième édition des Sélénites. Christophe Grange avait déposé de part et d’autre quelques œuvres choisies, entre bonhommes allumettes et cinquième accord toltèque. A peine installée, Lili Des Lys en Smirnoff décala sa chaise vers le bout de la table pour éviter des postillons suspects. En funambule aguerrie Cunégonde retendait son fil d’Ariane pour broder la tapisserie vivante de son salon des Arts et des Lettres. Le plasticien spinalien se mis à conter avec humour sa condition d’artiste. Dans sa galerie d’art consacrée à ses œuvres personnelles, Tofblanc s’expose en vitrine sur un sofa vintage. Il contemple de rares et frileux riverains au regard furtif, des passants qui au grand jamais n’entrent chez lui. Mais à peine défloré, le sujet du corps comme médium artistique s’étiola dans l’apparition surréelle des autres convives. Ils étaient bloqués dans la salle d’attente, derrière Chipset. Avec ses jeux de puces, le magicien post-moderne plus international et plus conspué que Michel Houellebecq fit apparaître des portraits pixelisés. Hilares sous l’effet du gaz sélénite, des visages faisaient irruption de clic en clic sur la face à cristaux liquides de Chipset, et ils s’animaient comme des lapins sortis d’un chapeau, avec des airs d’ E.T. tombés de la Lune.
Une valse corse gitane submergea dolcissimo les micros connectés. Gros plan sur la lune oblique surplombant les orgues d’Osséja, dans la zone frontalière espagnole, à 1200 kilomètres d’altitude. Plein Sud, bruissement du grand vent. Le musicien s’était extirpé de sa cahute pyrénéenne, dans un coin bancal éloigné de la clinique. Le cul posé sur une chaise à trois pieds, il jouait les premières notes d’un opéra guitare quand la batterie de son téléphone flancha. Denis Campini repris sans public sa méditation musicale inspirée par un chapelet d’assassinats : le professeur Samuel Paty, les trois fidèles de la cathédrale de Nice, les écoliers au Cameroun, les étudiants en Afghanistan. “Douceur de l’amour, douceur de la gentillesse, douceur du sang qui coule de la gorge tranchée”…
Depuis la porte des Hautes-Vosges et sous l’égide de Dionysos de Profondis, la radio associative Gué Mozot enregistrait l’expérience sélène avec les moyens du bord, dans un bricolage artisanal de première nécessité. Maître Dupont Verlémort risqua quelques connexions avec des prénoms prononcés depuis l’Éther, dans un silence sidéral vite enseveli par de grands rires, qu’il enjamba en courtes salves de philosophie de l’absurde. Le troubadour Olivier d’Icarie apparu dans une nouvelle fenêtre. Il eût été peu courtois de ne point lui demander des nouvelles de sa mule, vieillissant comme lui bien tranquillement. De virtuoses improvisations à son piano balayaient l’enfermement. Deux poèmes y prirent leur envol: l’un dédié aux Salon des Sélénites, l’autre à la Saint-André dans ce jour inaugurant l’Avent. En résonance à ce dernier poème de Vincent Decombis, sujet d’antiques divinations, Lili des Lys en Smirnoff raconte Andrzejki dans sa Pologne natale, une tradition similaire.
FaunE d’AmouR qui dardait depuis le début des Sélénites la caméra de son téléphone vers la lune franc-comtoise, avait envoyé son poème au salon des Sélénites, tout de rimes en bits. Un écho acoustique propulsait ses vers dans des fréquences vibratoires intersidérales, ajoutant du mystère à ses assauts flamboyants vers le pianiste. Qu’il lui fasse parvenir derechef les notes de musique qui venaient de glisser sous ses doigts !
Vint le récit du démantèlement du squat de La Courgette à Épinal, par Edouarde Trosalie. L’infirmière aux multiples engagements humanistes conta par le menu le dernier acte d’un collectif qui répondait à l’urgence sociale et culturelle. Prise en flag avec son Jean-Luc, une cagette de légumes sous le bras pour ravitailler de supposés dangereux “anarcho-terrorristes”, les courgettes en pleine ratatouille eurent 48 heures pour débarrasser le plancher. Scénario en or pour Catherine Spitz qui expérimente des ateliers théâtre dans son association « ralentir pour vivre » avec un burn-out. Sitôt dit, Lili des Lys en Smirnoff fait le lien avec La Carmagnole, une troupe mirecurtienne sur tous les fronts d’un théâtre militant. Avant de conclure ce premier zoom sélénite, l’excursion dans le dixième art était incontournable. Le geek Octave de l’Envers au Bois Sanglant se lance alors dans une présentation détaillée de la création numérique, via la conception de jeux vidéo. Il pose les prémisses d’une œuvre en gestation, tout en prudence et sans dévoiler plus avant son projet faramineux.
Durant deux heures et demie, la joie de se découvrir, au gré d’intenses ratés de son et d’image, s’était mêlée au plaisir d’inventer ensemble un salon Sélénite à demi virtuel en scène ouverte, qui claudiquait avec la tablée de six confinés au salon de Cunégonde d’Hagécourt-sur-Fumier. Rendue à la nuit claire, la Pleine Lune poursuivit ses songes et ses terrestres habitants se miraient en elle avec gratitude.
Hildegarde la Gaude et Amous